Histoire du vigueirat
Les premières phases de la construction du canal du Vigueirat (1601 et après)
La construction du canal du Vigueirat a débuté en 1601, dans le but de répondre aux enjeux d’assainissement des terres marécageuses autour d’Arles, une région alors sujette à des inondations fréquentes. La principale motivation était de rendre ces terres fertiles cultivables et d’éviter les problèmes sanitaires liés à la stagnation de l’eau. Ce projet ambitieux s’inscrivait dans une volonté plus large d’améliorer la productivité agricole et la santé publique.
Le canal faisait partie d’une série d’ouvrages hydrauliques destinés à drainer les terres et à acheminer l’eau vers la mer Méditerranée. Au départ, le canal du Vigueirat a été conçu pour collecter les eaux provenant des Alpilles et des terres environnantes, et les acheminer vers le Rhône et la Camargue. Ce projet s’intégrait dans un contexte plus vaste de maîtrise des eaux en Provence, une région souvent touchée par des phénomènes climatiques extrêmes (pluies torrentielles et sécheresses).
Contexte Historique
Le canal du Vigueirat s’inscrit dans un vaste projet de maîtrise des eaux en Provence et dans le Comtat Venaissin, région où l’eau jouait un rôle central dans l’organisation des espaces économiques et agricoles. Les marais d’Arles et de Tarascon posaient un problème de salubrité et de gestion des terres, affectant la productivité agricole et la santé publique. Ce projet s’intègre dans une série d’aménagements hydrauliques visant à optimiser l’utilisation des ressources en eau dans un territoire sujet aux inondations fréquentes, mais aussi aux périodes de sécheresse, comme cela a été le cas à Salon-de-Provence avec les branches du canal de Craponne, creusées dès le XVIe siècle.
Le canal du Vigueirat dans le cadre de la transformation des marais
Les travaux d’assèchement de la vallée du Rhône et de la Camargue faisaient partie d’une dynamique générale d’amélioration des terres marécageuses au XVIIe siècle. Ces aménagements ne se limitaient pas à une lutte contre les inondations, mais visaient à rendre les terres fertiles plus exploitables, en les transformant en champs céréaliers ou prairies, selon des logiques économiques diverses. Cependant, ces transformations étaient souvent l’objet de conflits locaux, notamment entre communautés, qui avaient des usages traditionnels des ressources hydrauliques, et les nouveaux entrepreneurs, souvent appuyés par des capitaux extérieurs
Les travaux de drainage commencés en 1601 étaient accompagnés d’une prise de conscience sur l’importance d’évacuer les eaux stagnantes vers des exutoires comme les étangs et la mer, une idée déjà envisagée par Adam de Craponne, mais finalement concrétisée par d’autres, comme Jean Van Ens, un ingénieur hollandais appelé pour continuer les travaux dans la région d’Arles. Les conflits pour la gestion des eaux entre les différentes villes et communautés ont façonné l’extension du réseau des canaux, avec un partage des coûts et des responsabilités à travers des institutions locales comme les Corps des vidanges (plus tard structurées en Associations Syndicales de propriétaires).
Jean Van Ens, ingénieur hollandais du XVIIe siècle, a joué un rôle essentiel dans l’assèchement des marais d’Arles et de la vallée des Baux. En 1642, il est mandaté par les consuls de la ville d’Arles pour entreprendre ces travaux colossaux, visant à drainer environ 7 000 hectares de marécages, améliorant ainsi la salubrité et la productivité agricole de la région. Ce projet s’inscrit dans un cadre plus large de grands travaux d’assèchement soutenus par la monarchie française, avec l’objectif d’augmenter les terres cultivables dans le sud de la France. Le canal du Vigueirat, que Van Ens fait construire, vise à évacuer les eaux du Rhône et à les acheminer vers l’étang du Galéjon. Les travaux sont financés par des banquiers influents comme Barthélemy Hervart et Jean Hoeufft, qui voyaient ces opérations comme un moyen de rentabiliser des terres marécageuses pour les transformer en exploitations agricoles profitables. Le canal du Vigueirat devient ainsi un axe central pour la gestion des eaux dans la région d’Arles, permettant de maintenir les terres en bon état agricole.
Cependant, Van Ens doit faire face à plusieurs obstacles, notamment les crues du Rhône qui endommagent les travaux déjà réalisés en 1646. De plus, des conflits éclatent avec les consuls de Tarascon qui, en ouvrant des digues, aggravent les inondations dans la région. Pour pallier ces difficultés, Van Ens construit également un second canal, celui de la Vidange, destiné à drainer des marais d’Arles vers la mer. Malgré ses efforts, Van Ens rencontre de nombreuses difficultés financières. Il accumule des dettes considérables, notamment en raison des destructions répétées dues aux inondations. Il meurt tragiquement en 1652, à la suite d’une chute de cheval, sans avoir pu mener à bien l’ensemble de ses projets. Toutefois, son œuvre a jeté les bases de la transformation des marais d’Arles, ouvrant la voie à une meilleure gestion des terres agricoles et à une organisation hydraulique plus efficace dans ce coin de Provence.
Usages économiques de l’eau et leur influence sur le territoire
Dès la fin du XVIe siècle, l’eau était déjà exploitée pour soutenir l’agriculture et les moulins, notamment pour l’irrigation des oliviers et des céréales. Le canal du Vigueirat a été conçu pour être un outil de régulation, mais aussi pour valoriser économiquement des terres marécageuses qui étaient jusque-là sous-utilisées. L’installation de moulins utilisant la force hydraulique était une conséquence directe des aménagements du réseau. Dans ce contexte, les conflits entre les propriétaires des moulins et ceux qui voulaient développer les systèmes d’irrigation reflétaient des intérêts économiques divergents.
Rôle de la maîtrise des eaux au XVII siècle
Sous l’impulsion de l’État français et des pouvoirs locaux, la maîtrise des eaux dans la région de Provence faisait partie d’une série de grands travaux visant à améliorer l’agriculture et les infrastructures commerciales. L’État encourageait ces travaux par l’octroi de privilèges et de concessions à ceux qui entreprenaient des efforts d’assèchement. Le canal du Vigueirat, en particulier, a vu son importance croître avec le temps, en devenant une infrastructure essentielle pour le développement économique des terres du delta du Rhône et de la Camargue.
Évolution du projet et extension du réseau hydraulique
Au fil des siècles, le canal a été progressivement intégré à un réseau hydraulique plus complexe. D’après les études hydrologiques réalisées au début du XXIe siècle, le bassin versant du Vigueirat couvre une superficie de 19 300 hectares, avec une répartition des eaux qui traverse notamment la plaine de Tarascon et la petite Crau.Ce bassin est délimité par les Alpilles au sud, la Durance au nord, et plusieurs autres formations géographiques à l’est et à l’ouest.
Les canaux principaux du réseau sont reliés à des sous-bassins versants qui se déversent dans le canal du Vigueirat. Ces sous-bassins incluent plusieurs canaux importants comme la Grande Roubine et le Mauvallat (aujourd’hui principales extensions du Vigueirat), Le Réal, La Bagnolette, la Foubourgette, chacun contribuant à la gestion du ruissellement et à l’évacuation des eaux pluviale.
Fonctionnement du bassin hydraulique du Vigueirat
Le bassin hydraulique du canal du Vigueirat présente une dynamique complexe de gestion des eaux. Les études récentes montrent que le bassin reçoit l’eau provenant des sous-bassins et utilise un système de drainage efficace pour minimiser les inondations. Ce système est particulièrement actif en période de fortes pluies où les crues doivent être gérées pour éviter des dommages aux zones agricoles en aval.
Les pluies d’une durée de 24 heures sont les plus critiques pour générer des débits maximaux au niveau de la plaine de Tarascon. Le modèle hydraulique mis en place lors des études montre que, pendant des périodes de pluies intenses (comme celles observées en 1994), les débits au droit de la station de Saint Gabriel, située sur le canal du Vigueirat, peuvent atteindre jusqu’à 65,8 m³/s pour une crue centennale. Par ailleurs, les récents travaux ont calibrés les premières surverses en zones d’expansion à partir de 45 m³/s (débordements contrôlés).
Phases de modernisation du réseau au XIXe siècle
Les travaux d’assèchement et de gestion des eaux se sont intensifiés au XIXe siècle, comme en témoignent les délibérations de 1827 sur l’amélioration des infrastructures existante. Le canal d’Arles à Bouc, par exemple, a été un complément important pour renforcer l’efficacité du système de drainage, en évacuant l’eau excédentaire vers la mer. Ce projet a été approuvé par une délibération en mars 1827, suivie d’une ordonnance royale en mai 1827, officialisant l’extension des travaux pour lutter contre les inondations.
Ces travaux ont permis de réduire les risques d’inondation dans les terres agricoles autour d’Arles et ont rendu ces terres plus productives. Les phases de construction successives ont impliqué la réalisation de digues, de canaux de délestage, et de zones d’expansion pour les eaux, afin d’améliorer l’efficacité du drainage
Impact environnemental et aménagements récents
Le canal du Vigueirat traverse des zones d’une importance écologique majeure, notamment au sein du Parc naturel régional des Alpilles et du Parc naturel régional de Camargue, ainsi que plusieurs sites classés Natura 2000. Ces territoires sont protégés en raison de leur biodiversité exceptionnelle, abritant des espèces rares et des écosystèmes uniques.
Impact sur les aires protégées
Les marais du Vigueirat, situés dans la plaine entre la Crau et la Camargue, forment l’un des principaux habitats naturels en France. Ils couvrent une vaste zone marécageuse et sont reconnus pour leur rôle dans la conservation des zones humides méditerranéennes. La région abrite une biodiversité riche, comprenant des espèces d’oiseaux migrateurs, des amphibiens, et une flore typique des milieux humides. Le canal du Vigueirat joue un rôle crucial dans la régulation des niveaux d’eau de ces marais, affectant ainsi directement la qualité de ces habitats.
Les sites Natura 2000, tels que Marais du Vigueirat sont d’une importance écologique majeure. Ces zones humides ont été reconnues pour leur biodiversité, avec plus de 35 000 canards hivernants, et une richesse ornithologique unique en Europe. Le canal, en assurant la gestion hydraulique, permet de maintenir ces habitats aquatiques sensibles. Cependant, l’urbanisation et la gestion humaine de l’eau peuvent, si mal contrôlées, fragmenter les habitats, altérer les régimes hydrologiques et menacer les espèces protégées.
Intégration des aménagements récents
Ces dernières décennies, les projets de modernisation du réseau hydraulique ont intégré des considérations écologiques. Des mesures de protection et de restauration des écosystèmes ont été incluses pour limiter les effets néfastes sur l’environnement. Le Conservatoire du Littoral, gestionnaire d’une partie des marais du Vigueirat, travaille activement à concilier la gestion de l’eau avec la préservation de la faune et de la flore locale.
Des initiatives pour maintenir les zones humides en bon état fonctionnel sont essentielles pour protéger les habitats classés Natura 2000, et des programmes de surveillance de la qualité des eaux ont été mis en place pour assurer le maintien de l’écosystème naturel. Ces aménagements visent à limiter la pollution des cours d’eau et à prévenir la dégradation des zones marécageuses.
Le canal du Vigueirat est un exemple d’infrastructure hydraulique qui, tout en répondant à des besoins économiques et agricoles, a une interaction profonde avec l’écosystème naturel. Son emprise dans des parcs régionaux protégés et des sites Natura 2000 nécessite une gestion rigoureuse, afin de préserver la biodiversité tout en maintenant ses fonctions hydrauliques.